En 2023, Lidl dépasse les 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial, tandis qu’Aldi maintient sa position parmi les dix premiers distributeurs alimentaires de la planète. Derrière ces performances, deux familles fondatrices restent aux commandes, malgré une discrétion rare dans le secteur. Les règles de succession au sein de ces groupes demeurent strictes et peu transparentes, contrastant avec les pratiques habituelles de gouvernance des autres géants de la grande distribution.
Les stratégies de croissance, pilotées par des dirigeants au profil atypique, défient régulièrement les attentes du marché. Les différences de gestion interne entre Lidl et Aldi influencent directement leur expansion et leur image auprès des consommateurs.
Lidl et Aldi : deux empires familiaux aux histoires entremêlées
Il est impossible de raconter l’histoire de Lidl et Aldi sans revenir à la puissance de leurs origines allemandes : la famille y règne, décide, verrouille. Aldi, pour « Albrecht Discount », voit le jour à Essen en 1946 grâce aux frères Albrecht, Theo et Karl. Ils tracent deux trajectoires : le Nord et le Sud. Chaque frère gère son territoire, mais tous deux partagent la même obsession du discount radical. Ce modèle épuré à l’extrême secoue le commerce de détail et s’exporte largement hors d’Allemagne.
Lidl, pour sa part, doit son envol à Dieter Schwarz. Moins en vue, tout aussi méthodique. Là où certains cherchent l’éclat, il préfère l’ombre et la stratégie. Inspiré par Aldi, il lance sa première enseigne à Neckarsulm en 1973, au sud-ouest du pays. Peu de produits, des prix calculés au cordeau, une logistique affûtée : la recette est claire, sans fioritures. Entre les deux groupes, la bataille pour dominer le secteur reste sourde, mais intense.
Voici comment ces deux géants se répartissent le terrain :
- En Allemagne, Aldi domine le nord avec « Aldi Nord », tandis que Lidl impose rapidement sa présence sur tout le territoire.
- En France, leur percée s’est faite plus tard, mais l’ampleur est flagrante : Lidl compte près de 1 600 points de vente, Aldi plus de 1 300.
Ce qui fait la solidité de ces groupes, c’est leur gouvernance fermée. Les décisions stratégiques restent confinées au cercle familial. La communication publique est quasi inexistante, la médiatisation évitée à tout prix. Leur performance se juge en parts de marché, pas en discours séduisants.
Qui sont vraiment les fondateurs et dirigeants de ces géants du discount ?
Deux noms, deux trajectoires : les frères Albrecht. Theo et Karl, deux hommes qui ont fait du retrait une règle de conduite. Ils ont bâti Aldi sur l’austérité, la gestion serrée et une méfiance constante envers les projecteurs. Theo, après avoir été enlevé en 1971, s’est replié dans une discrétion absolue. Encore aujourd’hui, la famille Albrecht contrôle l’enseigne grâce à des fondations, verrouillant la succession et la stratégie.
Côté Lidl, c’est Dieter Schwarz qui tient les rênes. Héritier de Joseph Schwarz, il a transformé l’épicerie familiale en un acteur incontournable du discount européen. Peu d’apparitions publiques, rarement photographié, il détient l’ensemble du groupe Schwarz, qui regroupe Lidl et Kaufland. Même s’il laisse l’opérationnel à ses équipes, il garde la main sur les grandes décisions et les orientations stratégiques.
Dans ces deux groupes, la famille reste l’ultime décisionnaire. En France, cette logique se prolonge : les dirigeants viennent souvent de la maison-mère allemande, et préfèrent l’efficacité à la personnalisation. L’histoire, la mise en avant de personnalités, tout cela passe au second plan. Seuls comptent le produit, le prix, l’organisation.
Deux points illustrent ce modèle de gouvernance serrée :
- Chez Aldi, la structure capitalistique repose sur des fondations familiales ; chez Lidl, elle s’appuie sur une holding détenue par Dieter Schwarz.
- La succession se fait toujours en interne, à l’abri des convoitises extérieures ou des fonds d’investissement internationaux.
Ce fonctionnement tranche nettement avec celui des grands distributeurs français, où la gouvernance et l’actionnariat cherchent davantage la lumière.
Stratégies, valeurs et méthodes de gestion : ce qui distingue les patrons des deux enseignes
Chez Aldi, la stratégie tient en un principe : une simplicité extrême. Le catalogue produits reste limité, la logistique est réglée comme une horloge, les marges sont contenues. Les magasins affichent une esthétique sans apprêt, héritée directement du mode de gestion des frères Albrecht. Leur ligne directrice : rapidité, chaîne d’approvisionnement optimisée, et contrôle serré des coûts. Le rachat de Leader Price en France s’inscrit dans cette logique de développement prudent, mais décidé.
Lidl, lui, a choisi d’élargir son horizon. Après une longue période de pure austérité, l’enseigne a pris un virage. Elle a diversifié son offre, monté en gamme, multiplié les campagnes de communication. Le groupe Schwarz mise sur l’arrivée de marques nationales, la modernisation des magasins, la fraîcheur et le bio. Lidl ose désormais affronter les supermarchés classiques sur leur propre terrain, tout en gardant la compétitivité sur les prix.
Trois caractéristiques résument leurs méthodes :
- Pour Aldi, une gestion centralisée : la maison-mère décide, le terrain applique à l’identique.
- La logistique est rationalisée au maximum : entrepôts régionaux, flux rapides, rotation accélérée des produits.
- La culture du secret prévaut : peu de messages institutionnels, une gouvernance qui préfère rester dans l’ombre.
La présence de Lidl et Aldi en France reflète ces deux approches. Aldi avance méthodiquement, capitalise sur la constance. Lidl renouvelle, ose, diversifie. Leurs modèles de gestion sont le reflet direct de leur histoire : rigueur persistante chez Aldi, capacité d’adaptation marquée chez Lidl.
Rivalités, coopérations et enjeux actuels entre Lidl et Aldi
Le paysage français du hard discount s’organise désormais autour de deux géants. Lidl et Aldi, tous deux venus d’Allemagne, s’affrontent sur le terrain commercial et dans les bilans financiers. Lidl, avec plus de 1 600 magasins, prend la tête. Aldi, dynamisé par le rachat de Leader Price, tente de réduire l’écart avec environ 1 300 points de vente. Ensemble, ils détiennent près de 15 % du marché sur ce segment, loin derrière les leaders historiques, mais en progression constante.
Cette rivalité se manifeste à chaque nouvelle ouverture, chaque incursion dans une ville ou un village. Lidl s’est construit une visibilité impressionnante grâce à sa communication et à l’étendue de ses rayons. Aldi, plus discret, préfère miser sur la rentabilité, la réduction des coûts, la réorganisation de ses magasins en France. Les deux mastodontes se surveillent, s’inspirent, se provoquent. La bataille se joue aussi sur le prix, la variété des offres, la perception de la qualité.
Mais ces adversaires savent parfois unir leurs forces, notamment face aux pressions des grandes chaînes traditionnelles ou à la hausse des coûts logistiques. Ensemble, ils peuvent peser sur les négociations avec l’industrie agroalimentaire, optimiser la logistique, ou renforcer leur position lors de discussions collectives avec les fournisseurs.
Voici trois tendances qui dessinent l’affrontement actuel :
- Les parts de marché progressent sans relâche.
- Les modèles économiques doivent sans cesse évoluer pour affronter une concurrence de plus en plus vive.
- La transition écologique et la fidélisation d’une clientèle plus attentive deviennent des axes majeurs.
La rivalité entre Lidl et Aldi en France ne se limite donc plus au duel du prix le plus bas. Innovation, transformation des magasins, ancrage local : la bataille s’installe sur plusieurs fronts, redéfinissant les codes du discount. Une chose est sûre : ces deux géants n’ont pas fini de bousculer le paysage de la distribution.


